15 septembre 2017

Il faut sauver le chat de Chester

The Paris Review a publié récemment un échange de lettres entre Chester Himes et son ami John Williams. Le sujet : trouver aux Etats-Unis les boîtes de nourriture pour chat dont Griot, le siamois des Himes, raffole et sans lesquelles il ne se nourrit plus.

L'ensemble est amusant parce que les deux correspondants savent dramatiser avec talent ce qui n'est qu'une broutille.

On peut, cependant, rappeler le commentaire décapant d'un journaliste du quotidien espagnol El Pais après la parution en Espagne des deux volumes de l'autobiographie de Himes : il reproche à Himes de rappeler "avec une minutie exaspérante les aspects les moins intéressants de sa vie (...). Il s'embourbe dans des détails ennuyeux (quand il rapporte) ses nombreuses relations avec des femmes, les gens inintéressants qu'il a rencontrés, et d'innombrables chats et chiens".
Augusto M. Torres, El Pais, 11 décembre 1988.

Je serais tentée d'ajouter : et ses voitures...


En prime, une très belle photo de Himes avec un de ses chats.

Les lettres proviennent de Dear Chester, Dear John, recueil de lettres entre Chester et son ami, l'écrivain John Williams, édité par John et Lori Williams.





17 juillet 2017

Across 110th Street / Meurtres dans la 110e rue


Le titre de ce film (de Barry Shear, 1972, adapté du roman de Wally Ferris) est bien mal traduit en français : Meurtres dans la 110e rue. Ce devrait être exactement De l’autre côté de la 110e rue ou Au-delà de la 110e rue. Les lecteurs de Imbroglio négro savent que la 110e borde Central Park au nord et constitue donc la limite sud de Harlem. Dans ce roman, c’est sur cette rue –bourgeoise – qu’habite le politicien noir démocrate Casper Jones. Dans le film, un des mafieux définit Central Park comme « le no man’s land qui nous sépare du Harlem noir ».

C’est un bon film d’action bien cynique qui présente plus de flics corrompus que de policiers honnêtes et la lutte entre la mafia et les gangs africains-américains pour dominer le trafic des loteries clandestines.

Le film vaut par l’évocation de Harlem et on y trouve des lieux et ambiances bien connus de Fossoyeur et Ed Cercueil : triste paysage urbain de taudis et de rues jonchées d’immondices, prostituées, travestis ; des scènes aussi comme la recherche de la connivence avec le policier noir (« nous sommes entre gens de couleur ») qui rappelle l’interrogation des témoins au début de Imbroglio négro. La collecte des paris pour les loteries évoque aussi Tout pour plaire. Enfin, le sadisme des tortures et exécutions n’est pas pour surprendre les lecteurs de Himes pour qui la violence du grand banditisme blanc a été révélée dans Imbroglio négro et réaffirmée dans Ne nous énervons pas !

Le film est intéressant aussi par les relations entre le jeune inspecteur noir et son supérieur, le vieux flic italien à moitié pourri. Il démontre très clairement a contrario l’incongruité du couple d’inspecteurs de Himes et de leur quasi-souveraineté dans les premiers romans du cycle de Harlem. Les policiers sont majoritairement blancs et si l’enquête est confiée à l’inspecteur noir c’est pour des raisons politiques, avec une allusion explicite aux émeutes raciales de l’année précédente. Il faut calmer une opinion qui commence à compter.

En cela, il est révélateur d’un monde qui change. Le renoncement au pouvoir du vieux flic blanc corrompu et sa relation avec le jeune inspecteur noir honnête sont fondés sur cette conscience. C’est Harlem après L’aveugle au pistolet : hyper-présence des Blancs dans Harlem, coopération et haine raciale entre gangsters noirs et blancs (la mafia emploie des hommes de main noirs, mais l’alliance entre la mafia et les gangs noirs est menacée à tout moment). On devrait plutôt dire « un monde qui semble changer » car la pauvreté et l’oppression, elles, n'ont pas changé et la criminalité a son origine dans le besoin de sortir de la misère. C'est ce qu'ont toujours dit Fossoyeur et Ed Cercueil.


9 janvier 2017

Mon voisin Chester Himes




Sur la couverture de My Life of Absurdity*, Chester dans les dernières années de sa vie. On voit à son visage émacié qu'il est malade, mais Anne-Christine qui l'a connu à cette époque nous décrit un homme à la joie démonstrative, heureux de se trouver en compagnie d'enfants et amoureux de ses chats.


Nous venions en vacances en Espagne à Moraira (village situé entre Valence et Alicante sur la Costa Blanca) dans la maison achetée par mes parents en 1962 et baptisée Casa Ana Cristina, perdue dans la pinède, mais nous avions quand même quelques voisins.
A Pla del Mar (nom de la petite colline sur laquelle se trouvait notre maison), les étés se ressemblaient d’une année à l’autre…
De l’autre côté de la pinède qu’il fallait traverser pour y accéder, il y avait une maison assez imposante : Casa Griot, nous étions chez Lesley et Chester Himes. L’avantage de cette jolie maison sur les autres était sa belle piscine, promesse de fraîcheur lors de ces étés chauds.
Nous y étions très souvent invités pour des bains interminables (mes parents et les Himes étaient amis depuis leur installation à Moraira). Chester, malgré son handicap, prenait des bains avec nous, sanglé dans une sorte de grosse bouée noire (une grosse chambre à air!) et nous jouions. Il riait de bon cœur, heureux j’imagine de retrouver un peu d’insouciance et de légèreté.
Ensuite, Lesley l’aidait à sortir et l’installait dans son fauteuil roulant au bord de la piscine sous une petite tonnelle et il nous regardait jouer dans l’eau.

Je savais par mes parents qu’il écrivait des livres mais, pour une petite fille de 10 ans, cela restait assez vague. J’étais aussi au courant de son accident. Peu importe, pour mon frère et moi il était un homme qui aimait rire, se baigner en toute simplicité avec nous.
Je me souviens encore de son rire tonitruant lors des nombreux dîners et autres réjouissances à la maison. Chester aimait s’attabler devant la grande table en rotin qui trônait sur la terrasse devant la maison, toujours dans le même fauteuil. Il semblait apprécier la cuisine de maman et le bon vin espagnol.
Il racontait de sa grosse voix des histoires (en anglais, mes parents heureusement parlaient bien cette langue) et, pour nous sa présence était l’assurance de se coucher tard et de rester avec « les grands ».

Parfois nous allions chez eux, toujours pour un ultime bain de piscine et ensuite le dîner que nous prenions sous une sorte de grande véranda par laquelle on accédait via un grand escalier. Lesley concoctait des repas sympathiques. Elle était toujours imperturbable et habillée en blanc !
Ces soirées étaient accompagnées par les chats de Chester, qui avait une passion pour ces animaux (des chats abyssins je crois). Ils étaient impressionnants et énigmatiques et parfois même un peu effrayants.
Lesley et Chester quittèrent ensuite cette maison peu pratique pour lui et s’installèrent (toujours à Pla del Mar) dans une maison de plein pied.

Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai réalisé que nous avions un voisin « un peu particulier ». De ces souvenirs, il reste quelques photos dans les albums familiaux et dans la bibliothèque chez ma mère, les œuvres de Chester avec cette dédicace « For Pierre and Nicole from Chester ».

Anne-Christine T-M (janvier 2017)




La dédicace aux voisins


* My Life of Absurdity est le second volume de l'autobiographie de Chester.
Les deux volumes ont été condensés en un seul en français par Yves Malartic, traducteur de Himes, sous le titre Regrets sans repentir (1979).