29 janvier 2014

A Harlem, personne ne connaît Chester Himes



Harlem - Novembre 2011


La 110e rue qui borde Central Park au nord s'appelle désormais Central Park North. C'est là qu'habitait l'homme politique démocrate Casper Holmes dans Imbroglio négro. De sa fenêtre, il pouvait voir les enfants de la bourgeoisie noire de Harlem patiner dans le parc. J'interviewe des passants. Ils sont intéressés parce que je leur dis de Himes mais n'ont jamais entendu parler de lui.

Je poursuis vers le nord de Manhattan. Dans Washington Heights, Edgecombe Drive (désormais Edgecombe Avenue) domine à l’est la Harlem River et le Yankee Stadium dans le Bronx. C'est là que se trouvent deux immeubles historiques de Harlem, le 409 et le 555, ce dernier également appelé Roger Morris.

Ces deux immeubles sont très présents dans plusieurs romans de Himes : dans Couché dans le pain, « [Johnny Perry] et Dulcy, de même que la crème des maquereaux, des maquerelles et des banquiers des loteries clandestines, vivaient au sixième étage du fameux immeuble Roger Morris ». Dans Tout pour plaire : « Sans hésiter, Dummy pénétra dans le hall décoré de l’immeuble Roger Morris plus connu sous le nom de 555. À une autre époque, cet immeuble prétentieux avait été habité par des Blancs aux revenus élevés. Désormais, ses résidents étaient pour l’essentiel des Noirs qui avaient réussi : racketteurs, musiciens de jazz, maquerelles et boxeurs en activité. »

Comme le 409, le Roger Morris a aujourd'hui perdu beaucoup de sa grandeur.  L’immeuble est devenu middle class. Il reste un beau hall un peu défraîchi. Je parle avec un résident : il ne connaît pas Himes.


Melvin Van Peebles l'a écrit : « Alors que Chester, ce géant, avait publié des essais, des nouvelles et des romans pendant plus d’un quart de siècle, moi, Noir américain, j’avais pu devenir adulte, aller à l’université sans avoir une seule fois entendu mentionner son nom dans la myriade de cours de littérature que j’avais suivis. Cela en dit long sur les murs de préjugés et les barrières du racisme. » (Préface de Yesterday will make you cry).







12 janvier 2014

L'outil : The Slang of Sin


Pas question de lire Himes ou un autre auteur de romans policiers américain sans ce livre.
Un coup d'œil au sommaire : chapitre 1 : l'alcool ; 2 : le jeu ; 3 : les drogues ; 4 : les courses de chevaux ; 5 : le sexe ; 6 : les pêchés mortels et véniels ;  7 : le crime ;  8 : le prix du pêché.

Rentrons dans le détail : 2 pages de termes sur la masturbation masculine (une seule pour les femmes), 140 définitions dans la section Sexual performance, du hootchy-kootchy, danse sensuelle du 19e siècle à white light (la lumière blanche, trop explicite, interdite dans les strip-teases), en passant par le private dancing. Un lexique très détaillé et extraordinairement inventif dans le chapitre sur la drogue : par exemple, 46 termes pour les amphétamines, trois pour la première injection de la journée (constitutional, eye opener et morning glory), etc.  
Le fameux « il faut que je donne à manger à mon singe » de Goldy dans La reine des pommes est la traduction de to have a monkey on one's back, locution courante du slang des héroïnomanes, et n’est donc pas une invention de Himes. Le chapitre sur la drogue est particulièrement utile pour lire Ne nous énervons pas ! (The Heat’s On) qui raconte la lutte pour la mainmise sur le trafic de l’héroïne, entre les mafias de la French connection et les petits trafiquants noirs.

En bref, un outil indispensable pour lire des romans policiers américains en anglais, pour les traducteurs ou pour ceux qui aiment Muddy Waters mais se demandent bien ce que c'est qu'un Hootchie Cootchie Man…

Hootchie Cootchie Man - Muddy Waters
www.youtube.com/watch?v=uO4A6xx65WU‎
A gipsy woman told my mother
before I was born
"I got a boy child coming
He's gonna be a son of a gun.
He's gonna make pretty womens
jump and shout
then the world wanna know
what's this all about"
But they know I'm him
Everybody knows I'm him
I'm the Hootchie Cootchie Man
Everybody knows I'm him

ou Mannish Boy 
www.youtube.com/watch?v=w5IOou6qN1o‎

Tom Dalzell, The Slang of Sin, Merriam and Webster, 1998, 385 p.





11 janvier 2014

Sur la relation de Himes et Chandler à la littérature de genre



Dans le Monde des livres du 25 décembre 2013, Pierre Lemaître, auteur de nombreux romans policiers avant de recevoir le Goncourt pour Au-revoir là-haut, écrit : « Chandler a toujours considéré le roman policier comme vulgaire, mineur et “destiné à un public à moitié lettré”. Il lui devait pourtant toute sa célébrité. »

Jean-Patrick Manchette a une opinion plus nuancée sur cette question. Dans une de ses chroniques, il dit de Chandler qu'il est un « poète contrarié [qui] cherche dans le genre noir à assouvir une ambition strictement littéraire ». Dans une autre chronique, il compare Chandler et Himes. 
Pour lui, Chandler n’avait pas le même besoin de reconnaissance légitime que Himes : « Chandler a déjà réalisé ses ambitions sur le papier. Il commence aussi de les réaliser sur le terrain culturel. Il commence d’obtenir la considération qu’il souhaitait. En consultant les mémoires de Chester Himes, on verra que ce Noir néglige ses propres polars et veut être reconnu sur le terrain vraiment littéraire. Chandler, auteur blanc, n’a pas besoin d’une telle surcompensation. »





Si vous ne les connaissez pas, il faut lire les Chroniques de Jean-Patrick Manchette (Rivages/Noir, 1996), excitantes, notamment, dans leur analyse des romans noirs américains de la période 1920-1950, considérés comme une « littérature morale », critique de la contre-révolution triomphante aux États-Unis.