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11 mars 2019

"Une découverte stupéfiante" : Himes et James Dean

Le commentaire qui suit a été laissé anonymement (et c'est bien dommage) après l'article De Qu'on lui jette la première pierre à Hier te fera pleurer.

« La version de 1952, sous le titre Qu'on lui jette la première pierre*, était un livre de poche enfoui dans la bibliothèque de James Dean. Le fait que Jack Warner, patron de la maison de production Warner Bros au début des années 1950 a eu en même temps sous contrat Dean pour ses films les plus importants et les plus iconiques (La fureur de vivre, A l'est d'Eden, Géant) et brièvement comme scénariste Himes qu'il a ensuite licencié car il était noir, est un autre fait choquant et oublié. La relation entre Jim et Dido dans le roman de Himes fait beaucoup penser à celle entre Jim Starck (James Dean) et le personnage de Plato, interprété par Sal Mineo, dans La fureur de vivre.

Est-il possible qu'il y ait eu un lien ou une influence dont peu de gens se seraient rendu compte ? »

* Cast the First Stone.
Ce roman est une version édulcorée du manuscrit de Himes. Le texte original sera rétabli beaucoup plus tard (en 1978) sous le titre Hier te fera pleurer.

Voir De Qu'on lui jette la première pierre à Demain te fera pleurer

21 novembre 2016

S’il braille, lâche-le… (If He Hollers Let Him Go). L'écho d’une comptine raciste

Le premier roman de Chester Himes a un titre un peu étrange : S’il braille lâche-le… En anglais If He Hollers, Let Him Go. Ce titre est tiré d’une comptine enfantine, très connue aux États-Unis, l’équivalent de notre Amstramgram.

Eenie, meenie, miney, moe, 

Catch a tiger by the toe. 

If he hollers, let him go.

My mother said to pick 

The very best one 

And you are not it.

Eenie, meenie, miney, moe
Attrape un tigre par la patte
S'il braille, lâche-le.

Ma mère a dit
 de faire 
Le bon choix
Et ce n’est pas toi.

À aucun endroit de son autobiographie, Himes n’explique le choix de ce titre pour son roman. On peut imaginer, cependant, qu’il fait référence à une ligne cachée de la comptine. Il en existe, en effet, plusieurs variantes et notamment une version courante au 19e siècle dans laquelle Catch a tiger by the toe était remplacé par Catch a nigger by the toe (Attrape un nègre par la patte).

Une comptine est une chanson enfantine qui sert à déterminer le rôle des participants à un jeu. Le comptage permet au meneur de jeu de choisir ou d'exclure les joueurs. Il n'y a aucune certitude, mais cela irait bien avec le piège raciste dans lequel tombe Robert Jones, sa sélection finale, en dépit de tous ses efforts, pour l’armée américaine, son rejet par sa fiancée presque blanche et l'ensemble de la société californienne des années 1940.



Merci à Hélène B.

7 février 2016

La mère. Estelle Himes alias Lillian Taylor


La mère de Chester, Estelle Bomar, a inspiré le personnage de Lillian Taylor dans le roman autobiographique La troisième génération (1954). Elle est aussi très présente dans le premier tome de l’autobiographie de Himes, The Quality of Hurt, (1972, condensé avec le deuxième volume, My Life of Absurdity, 1976, dans Regrets sans Repentir, 1979) [1].

Chester, le troisième enfant des époux Himes, est né en 1909. Estelle a donc dû naître une quinzaine d’années après la fin de la guerre de Sécession. C’est une femme exceptionnelle pour son temps et dans son milieu. Descendante d’esclaves domestiques, elle passe pour blanche dans une société pourtant obsédée par la couleur de la peau et ses nuances. Elle a eu une éducation très poussée : elle est musicienne, elle enseigne et elle écrit. Les premières pages de La troisième génération montrent le cadre raffiné dans lequel Lillian Taylor, son double, élève ses enfants. Son mariage avec Joseph Himes, le père de Chester, est malheureux. Elle l’a choisi car il lui était présenté comme un jeune homme d’avenir, mais elle en est venue à détester la noirceur de sa peau et sa servilité envers les Blancs, condition pourtant de la survie sans trop d’encombre dans le Sud. L’éducation de leurs enfants cristallise les conflits. Estelle veut les protéger du monde : elle refuse qu’ils aillent dans une école pour enfants noirs, elle fait tout pour conserver leurs nez étroits et leurs cheveux soyeux, héritage des aïeux blancs.

Que veut au juste et que peut Estelle Himes ? Elle méprise les Noirs et la prétention des métis à peau claire. Pour autant, jamais elle ne pourra être blanche. Quand Lillian Taylor se rend chez un dentiste blanc – elle refuse de consulter des médecins noirs – son adresse la trahit et le dentiste la livre à la police. Elle est digne d’être un personnage faulknérien, comme les autres Blancs ayant - peut-être - du sang noir que sont Charles Bon (Absalon, Absalon) ou Joe Christmas (Lumière d’août). On pense à ce qui rend impossible aux yeux de Stupen, dans Absalon, Absalon, le mariage de Charles Bon, son fils caché, avec Judith, sa fille d’une deuxième union. « La cause infranchissable d’un tel impossible n’est pas en réalité l’inceste [...] mais une mésalliance, un métissage innommable ; car, en vérité, Bon, malgré les apparences, a du sang noir par sa mère. » [2]

James Sallis, biographe de Himes, a des mots très justes sur ce que suscite en nous Estelle Himes : « On éprouve pour Estelle une sympathie aussitôt contrée par un mépris pour son élitisme et (ne mâchons pas nos mots) son racisme. »[3] John A. Williams parle, à propos de « l’impressionnant arbre généalogique ‘blanc’ que [Lillian Taylor] a créé » de sa « haine de soi-même »[4].

Pauvre Estelle, victime de l’histoire, de l’esclavage, de la concupiscence des maîtres, de la haine des maîtresses parfois, de l’illusion d’appartenir à la famille du maître. Pauvre Estelle, condamnée à jamais à embellir son simulacre de lignée blanche, à s’interdire toute solidarité et à reproduire le racisme des maîtres.
Et pauvre Chester, témoin tout enfant de l’affrontement entre ses parents, participant manipulé par sa mère à la dégradation de son père, marqué par le conflit inter et intra-racial.









[1] Elle apparaît aussi sous les traits de la mère vieillie et souffrante du détenu blanc dans Hier te fera pleurer, le roman de prison de Himes.
[2] Édouard Glissant, Faulkner, Mississipi, coll. "Folio Essais", Gallimard, 1998.
[3] James Sallis, Chester Himes : une vie, coll. "Écrits noirs/Rivages", 2002.
[4] John A. Williams, préface de The Third Generation, Thunder’s Mouth Press, 1989.

10 janvier 2016

Chester Himes et l'incendie du Pénitencier d'Etat de l'Ohio

Plusieurs sites américains sont (totalement ou partiellement) consacrés au Pénitencier d'Etat de l'Ohio et, notamment, à l'incendie qui le ravagea le 21 avril 1930, lundi de Pâques. On y trouve des photographies dramatiques du pénitentier en feu et des centaines de cercueils alignés.

Chester Himes était détenu dans ce pénitencier lors de l'incendie. Il avait été condamné en 1928 à une peine de 20 à 25 ans de prison après un cambriolage à main armée. Une de ses nouvelles, Vers quel enfer de flammes ? (1934), raconte l'errance désespérée d'un prisonnier, impuissant à sauver ses co-détenus. Himes l'a reprise ultérieurement dans son roman de prison Hier te fera pleurer, dont le titre original est Qu'on lui jette la première pierre. (Voir sur ce blog l'article "De Qu'on lui jette la première pierre à Hier te fera pleurer" - Nov. 2014.)

Au début du 20e siècle, le Pénitencier d'Etat de l'Ohio avait la réputation d'être une prison modèle et moderne. La réalité a cependant toujours été différente. Au 19e siècle, une épidémie de choléra avait fait 121 morts chez les prisonniers. Dans les sites (voir ci-dessous), on voit que si l'incendie de 1930 a été volontairement allumé par des prisonniers pour détourner l'attention d'une tentative d'évasion, les causes de sa propagation sont la surpopulation du pénitencier (le nombre de détenus était deux fois supérieur à la norme), l'absence de dispositifs de sécurité et de procédures d'évacuation. L'incendie a fait 322 victimes.

Après l'incendie, une commission des libérations conditionnelles, créée en 1931, a examiné le cas des prisonniers et a décidé la libération de 2000 d'entre eux, parmi lesquels Himes, qui a retrouvé la liberté en 1936, après huit ans d'emprisonnement. Le fait qu'il ait déjà publié des nouvelles dans des revues à grand tirage a été considéré par la commission comme une preuve de réhabilitation.

Sites web (en anglais) 
L'incendie du Pénitencier d'Etat de l'Ohio
Le rapport de la commission d'enquête sur les causes de l'incendie (mai 1930)
L'histoire du Pénitencier d'Etat de l'Ohio

3 octobre 2015

Un numéro spécial de 813 sur Himes

Le dernier numéro de 813 (n° 122) est un numéro spécial consacré à Chester Himes et coordonné par Bernard Daguerre. Il comprend, à côté d’une présentation de Himes et de ses premiers romans par James Sallis, son biographe, des textes d’hommage (Montalban, Christiane Rochefort, Claude Mesplède) et des fictions inspirées par Himes (Jake Lamar et Marc Villard), plusieurs études nouvelles. « La fin de l’État libre de Harlem », est consacré aux deux derniers romans, L’aveugle au pistolet et Plan B (Sylvie Escande). « Cercueil et Fossoyeur en VF : des traductions à enterrer », est une enquête édifiante de Pierre Bondil sur les traductions de Himes dans la Série noire. « L’apocalypse selon Chester… » de Xavier Dazerat, considère le dernier roman, Plan B, come l’aboutissement inéluctable de l’ensemble de l’œuvre de Himes et s’intéresse aux formes qu’y prend le politique. Dans « Les chaînes du secret », Ruth Fialho, en montrant que les secrets pervers du prédateur blanc de Il pleut des coups durs sont des secrets de polichinelle, analyse le délitement de la communauté noire et l’abandon de ses femmes. « Un jardin sans fleurs » est une enquête de François Darnaudet sur le mystérieux roman écrit à quatre mains par Himes et Willa, la femme qu’il a rencontrée sur le paquebot qui l’amenait en France en 1953.
On y trouvera aussi l’histoire rocambolesque de la malle-cabine de Himes, peut-être plus fondée que celle de sa machine à écrire telle que la raconte Dany Laferrière (lire sur ce blog « De Harlem à PAP : sensibilités de Himes et de Dany Laferrière »), et l’inventaire détaillé des adaptations de deux romans de Himes en BD (Frédéric Prilleux) et  des adaptations controversées de ses romans à l’écran (François Guérif et Jeanne Guyon).

Ce numéro de 813 atteint son objectif car il fait progresser la connaissance de Himes et de son œuvre. Il ouvre même des pistes et incite au débat et à la formulation de questions nouvelles.