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25 décembre 2014

Faulkner et Himes



Quand il écrit son premier roman pour la Série noire, Himes, en panne d’inspiration après les 80 premières pages, relit Sanctuaire « en espérant que Faulkner lui rendra courage » (My Life of Absurdity). Quand il décrit dans Plan B les Noirs sur lesquels la police a tiré au canon,  couverts de poussière et de plâtre, Himes écrit : « William Faulkner aurait été justifié dans sa description de la peau noire prenant la couleur grise des cendres de bois ». Faulkner est la seule influence littéraire que Himes ait jamais reconnue.
Elle se manifeste dans la narration. Le découpage de Sanctuaire, la focalisation alternée sur deux personnages principaux (Temple et Horace Benbow), la structuration du temps par des repères essentiellement lumineux (dans le premier chapitre, le temps découle du soleil qui décline, du crépuscule, de la lumière de la lampe) ont certainement inspiré Himes. La rencontre de Horace Benbow et de Popeye, qui ouvre le livre, avec le jeu très cinématographique des regards, inspire aussi dans Tout pour plaire la séquence des raccords sur le regard entre Dummy et Sugar, au chapitre 14.
Faulkner est aussi présent dans la vision de l’histoire du Sud. Dans Plan B, l’histoire de la plantation qu’achète Tomsson Black constitue un « contrepoint foireux »[1] à l’épopée du défrichement de la plantation de Sutpen dans Absalon, Absalon


Il est, enfin, un sujet sur lequel il existe une parenté entre les deux auteurs et c’est grâce au magnifique truchement d’Édouard Glissant  dans Faulkner, Mississipi que nous le saisissons le mieux. Il s’agit de « l’impitoyable impartialité » de Faulkner, du regard sans complaisance porté sur les Noirs. Himes va d’ailleurs beaucoup plus loin : le monstrueux est présent dans Ne nous énervons pas, et dans L'aveugle au pistolet et Plan B, ses deux derniers romans.


[1] Sylvie Escande, Chester Himes, l’unique, L'Harmattan, 2013.


21 septembre 2014

Je cherchais une rue - Chester Himes et Charles Willeford


Je cherchais une rue (I was looking for a street) est le titre du roman que Jesse Robinson essaie vainement de faire publier dans La fin d'un primitif (1956). C'est déjà, dans la nouvelle, très autobiographique, Da-Da-Di-I-I (1948), le titre du roman que le personnage s'apprête à écrire : "On l'avait invité à la résidence pour travailler à un roman intitulé Le pigeon. Après avoir écrit une soixantaine de pages, il s'était arrêté pour écrire une autobiographie appelée Hier te fera pleurer. Mais maintenant, il était plein à déborder d'une histoire qu'il avait l'intention d'appeler Je cherchais une rue. Il l'avait trouvée, en effet. Il avait trouvé la rue, Congress Street, une petite rue pleine de boîtes noires, qui partait d'une colline pour rejoindre la rue principale."



Je cherchais une rue est aussi le titre de l'autobiographie de Charles Willeford (1988) consacrée à son enfance et à son adolescence. Ses parents sont morts de la tuberculose quand il était petit. Pendant la Dépression, à partir de 12 ans, il a vécu une vie de vagabond, entre trains, petits boulots et soupes populaires. C'est un livre magnifique.


Pourquoi ce titre ? Willeford ne donne aucune explication. L'hommage à Himes est, cependant, plus que probable. Journaliste au Miami Herald, Willeford écrit la nécrologie de Himes en 1984 : "On se souviendra de lui comme de l'un des plus grands écrivains américains, blancs ou noirs."


Les quatre livres de Charles Willeford dont Hoke Moseley est le personnage principal ("héros" serait un peu exagéré) sont Miami Blues, Une seconde chance pour les morts, Dérapages et Ainsi va la mort, publiés chez Rivages. La traduction est de Danièle et Pierre Bondil. Lire aussi tout le reste.


3 juin 2014

Himes chez Pelecanos

Le héros de Tout se paye (Hell to Pay) de George Pelecanos est Derek Strange, un ancien policier noir qui a quitté la police après la répression des émeutes raciales de 1968 à Washington et est devenu détective privé. Strange a de fortes convictions morales et politiques. Plusieurs soirs par semaine, il entraîne des enfants des projects (comment traduire : des quartiers ? des cités ?) au football américain. En rentrant chez lui après l’entraînement, un de ces enfants, le petit Joe Wilder, âgé de huit ans, est tué par balles lors d’un règlement de comptes pour une dette de drogue. Alors qu’il recherche les assassins de l'enfant, Strange est appelé à se rendre chez un baron du trafic de drogue, Granville Oliver.
« La bibliothèque était remplie de livres. A en juger par les déchirures aux coins des jaquettes usées et par les craquelures au dos des éditions de poche, les livres avaient été lus. À l'exception de quelques romans classiques d'auteurs comme Ellison, Himes et Wright, la plus grande partie des livres d'Oliver ne relevaient pas de la fiction. »
Le rapprochement des romanciers noirs « classiques » des années 1950 suggère qu’il s’agit des romans de Himes de la première période, les protest novels. Pourtant, on peut voir dans Tout se paye une référence aux romans policiers politiques de Himes. Elle est d’abord dans la conception que les personnages ont de leur rôle. Strange rappelle les deux inspecteurs du cycle de Harlem dans les romans où ils s’efforcent d’amender le cours des choses. À deux reprises, en effet, Ed Cercueil et Fossoyeur se transforment de façon occulte en justiciers, en redresseurs de torts : l'argent volé par Casper Holmes servira à financer des colonies de vacances pour enfants pauvres, noirs et blancs (Imbroglio négro) ; l'argent du Mouvement pour le retour en Afrique est rendu aux familles spoliées (Retour en Afrique).
Strange est conscient de l’injustice fondamentale de la société dans laquelle il vit, du destin inéluctable de ces jeunes Noirs pauvres promis à l’exclusion, à la drogue et à la délinquance, et du caractère dérisoire de ses efforts, mais il s’efforce, malgré tout, de sauver quelques enfants. Ed Cercueil et Fossoyeur se limitaient à corriger l’injustice à la marge et leur intervention se situe à la fin des deux romans cités plus haut, comme une moralité. Strange va plus loin : il devient un acteur fondamental de l’histoire.
Un autre forme de référence concerne l’analyse portée sur la société américaine : celle de Strange et celle de Granville Oliver, le caïd, sont très proches et se situent dans la lignée de Himes dans L’aveugle au pistolet ou dans Plan B. Granville : « J’ai réussi. Bien que je sois né dans ce camp de concentration que l’on appelle le ghetto. La pauvreté c’est la violence […] et elle engendre la violence. Les gamins noirs pauvres voient les mêmes pubs à la télévision que les garçons blancs et les filles blanches dans leurs banlieues. On leur montre quand ils sont jeunes tout ce qu’ils devraient avoir à tout prix. Mais comment feront-ils pour avoir cela ? »
Cependant, Himes et Pelecanos ne parlent ni du même lieu ni du même temps. Chez Pelecanos, le trafic de drogue et surtout l’apparition du crack ont détruit ce qui structurait les Noirs : la morale, la famille et la conscience politique. Himes a vu les prémices de la société que décrit Pelecanos. Ne nous énervons pas ! (The Heat’s on) montre une étape précédente : la lutte pour le grand trafic de l’héroïne dans les années 1960. Le roman est d’une noirceur infinie et il est prophétique quant aux effets destructeurs de la drogue sur les Noirs.



Richard Wright est né en 1908, Chester Himes en 1909 et Ralph Ellison en 1914. On aurait pu s’attendre à ce que figure également James Baldwin né en 1924.

7 avril 2014

Zoot-suit riots : émeutes zazoues ou émeutes de marins ?

Pour une analyse des émeutes zazoues de 1943 qu'il rebaptise justement "émeutes de marins", lire l'article "Emeutes zazoues" de L'empire du mal ? Dictionnaire iconoclaste des Etats-Unis de Roger Martin (Le Cherche-midi, 2005).

Roger Martin nous écrit : "En 1989, un des maîtres du Roman noir américain, James Ellroy, publie le second de quatre romans tournant autour de la "menace rouge", Le grand nulle part. De la belle ouvrage. Et aussi un livre très ambigu où l'affaire du Sleepy Lagoon et les émeutes zazoues sont présentées du strict point de vue de l'Amérique blanche, et les victimes du maccarthysme, une brochette de pervers sexuels, placées sur le même plan que leurs bourreaux. On lui préfèrera le Zoot de l'écrivain Thomas Sanchez."





17 mars 2014

Himes, Ellroy : zoot-suit riots

Les zoot-suit riots figurent dans le premier roman de Himes, S'il braille, lâche-le… Plus de 30 ans après, elles sont évoquées dans deux romans de James Ellroy, Le dahlia noir (1987) et Le grand nulle part (1988).

Le nom donné à ces émeutes évoque la façon de s'habiller des jeunes Noirs et Mexicains : vestes longues à très larges revers et épaules rembourrées, pantalons larges resserrés dans le bas, couleurs voyantes, chapeaux à larges bords. C'est le costume que porte le futur Malcolm X au début du film de Spike Lee. (On voit à droite un croquis de Ruth Carter qui a conçu les costumes du film Malcolm X).

La référence la plus proche pour les Français serait celle des zazous mais aux Etats-Unis, les zoot-suits sont portés par les jeunes des minorités - Noirs, Mexicains ou Italiens. Cette manifestation vestimentaire est un acte de rébellion, une affirmation d'identité, un véritable défi à l'Amérique et, en particulier à l'Amérique en guerre.

Que s'est-il donc passé en 1943 à Los Angeles ? Des marins de l'armée américaine en permission se sont livrés à une chasse aux jeunes Mexicains ainsi vêtus.

Pour Himes, l'évocation des zoot-suit riots au début de S'il braille, lâche-le… comme celle de l'internement des Américains d'origine japonaise montre à quel point le racisme est consubstantiel de l'Amérique.  Dans les deux cas, le sort réservé aux minorités  annonce le sort des Noirs qui s'aviseraient de sortir du rang, à commencer par Robert Jones.

Dans Le dahlia noir, la répression des émeutes pose le cadre politique du roman : corruption et racisme de la police de Los Angeles, collusion de la police et des Marines, mais elle permet aussi d'affiner la personnalité des deux héros (Bucky Bleichert et Lee Blanchard) et de leurs relations. C'est à cette occasion que Bleichert s'initie au regard cynique que Blanchard porte sur le monde, et que ce dernier prend de l'ascendant sur lui. Dans Le grand nulle part, Ellroy évoque un fait divers authentique, le meurtre d'un jeune Mexicain à l'été 1942. Ce meurtre, appelé Sleepy Lagoon murder, a entraîné la condamnation de neuf jeunes Mexicains innocents. Il est en partie à l'origine des zoot-suit riots.

6 février 2014

Himes et James Thurber : une impression de déjà-vu



A deux reprises, en lisant Plan B puis Mamie Mason ou un exercice de la bonne volonté, j’ai eu comme une impression de déjà vu, de quelque chose de familier.

Il s’agissait dans les deux cas de mouvements collectifs brusques de poursuite, de raid, de volte-face : dans Plan B, la guerre se situe entre les Blancs et les Noirs, dans Mamie Mason, entre les femmes noires et les femmes blanches. Le lien s’est enfin précisé. Il s’agissait de La guerre entre les hommes et les femmes (The War Between Men and Women), une  bande dessinée d'une quinzaine de vignettes, de James Thurber.

« À la suite de la diffusion d’une rumeur selon laquelle [Mamie Mason] ne cherche qu’à abâtardir la race blanche, un journal évoque « les raids massifs de femmes noires sur tous les hommes blancs ». La deuxième phase de cette guerre est marquée par la radicalisation des positions des femmes blanches. En dignes descendantes des « pionniers qui ont vaincu les peaux-rouges », elles s’affirment décidées à « répondre aux armes par les armes » et se tournent vers les moyens les plus divers de devenir noires. La panique gagne alors les femmes noires. Les antagonismes raciaux s'affirment dans de grands mouvements où opinions et actions des protagonistes sont schématisées à l'extrême. Il n'y a plus de place pour l'individu ; seules subsistent des catégories génériques, telles que « les femmes noires », « les femmes blanches », « tous les hommes blancs de plus de quarante ans ». 

La forme littéraire employée est, par ailleurs, la plus apte à faire imaginer un mouvement de foule, brusque, explosif même, sans nuances. Il s’agit toujours d’un élan – un groupe en poursuit un autre, un groupe fuit devant un autre – et de brusques revirements. Le même phénomène se lit dans Plan B. Après le massacre de plusieurs dizaines de Noirs par la police, les Blancs sont saisis d’horreur. Leur culpabilité collective se traduit de différentes façons : collecte extravagante de sang, expiation publique, manifestations de deuil personnel et officiel. Lorsque la commission d’enquête révèle que le massacre a commencé après la mort de trois policiers abattus par un franc-tireur armé d’un fusil mystérieux, la situation se renverse. « L’excitation remplaça l’orgie de culpabilité. Pourquoi devraient-ils regretter la mort de quelques Noirs tués par les policiers alors que leur vie à tous était en danger ? Était-ce trop demander que d’être en sécurité dans leur propre pays, leur propre foyer, leur propre vie ? L’excitation se transforma en colère. N’en avaient-ils pas assez fait pour les Noirs qui leur avaient été imposés par leurs ancêtres ? Était-ce eux qui avaient amené les Noirs d’Afrique ? Inévitablement, ce ressentiment donna lieu à de nombreuses hostilités sans aucune mesure, de part et d’autre de la ligne de séparation des couleurs. »

Chester Himes, l’unique



Sur la page Images de The War Between Men and Women (sur Google), on peut voir, parmi d'autres dessins de Thurber et des photos du film qui en a été tiré, plusieurs vignettes de la série. On les reconnaît aisément : elles ont un numéro (en chiffres romains) et une très courte légende.

Images La guerre entre les hommes et les femmes



Himes et Thurber : qu'est-ce qui peut les rapprocher ?


La recherche sur Google ne fait apparaître aucun lien entre les deux auteurs. Il est probable qu’ils ne se connaissaient pas personnellement. Ils présentent quelques éléments biographiques communs : ils ont étudié tous les deux à l’Université de l’État de l’Ohio à Columbus - Thurber une quinzaine d’années avant Himes. Il a livré d’ailleurs de ses études un récit très amusant dans une de ses nouvelles, University DaysThurber était blanc - les seuls Noirs qui apparaissent dans ses livres sont des femmes de ménage au parler pittoresque.  Dans La troisième génération, le roman autobiographique de Himes, on voit très bien la séparation absolue qui existait entre étudiants blancs et noirs. Si les deux auteurs ont en commun un parcours universitaire peu brillant, leurs chemins ultérieurs divergent logiquement : carrière journalistique pour Thurber, entrée dans la délinquance active pour Himes.

Un autre élément peut avoir joué un rôle : Thurber avait perdu un œil dans son enfance, victime d'une flèche tirée par son frère. Or, on connaît, dans l’œuvre de Himes, le poids de sa culpabilité après l’accident qui avait rendu aveugle son frère Joe, survenu après une expérience de chimie que ce dernier n’aurait pas dû accomplir seul.
L’auteur Himes, quant à lui, ne pouvait pas ne pas connaître Thurber, auteur et dessinateur célèbre du New Yorker dans les années 1930.

La ressemblance que je vois entre la suite de dessins de La guerre entre les hommes et les femmes et le texte de Mamie Mason et Plan B tient au mode de narration : la brusquerie des mouvements et le caractère très visuel des descriptions. Elle tient aussi à une sensibilité fantastique et surréaliste qui permet à ces deux auteurs de déceler sous les faux-semblants du monde des lignes de force et des affrontements violents.