L’histoire de ce beau roman est intéressante à plusieurs titres. Il est publié en 1952 sous le titre Cast the First Stone (Qu’on lui jette la première pierre). Tout d’abord, son héros, Jimmy Monroe, est blanc, même si le roman contient beaucoup d’éléments autobiographiques : l’accident entraînant la cécité du frère, la vie en prison, les relations amoureuses avec d’autres détenus et l’incendie. On se rappelle que Himes a été condamné en 1928 à 20 ans de prison au pénitencier d’État de l’Ohio pour un cambriolage à main armée, après plusieurs autres faits crapuleux. Une révision de son dossier après l’incendie dramatique du pénitencier qui a fait plus de 300 victimes lui vaut une réduction de peine. Il sort en 1936. Dans les premières nouvelles écrites en prison par Himes et qui sont publiées par des magazines destinées aux lecteurs blancs (Esquire, Coronet), on chercherait vainement quelque indice montrant que l’auteur est noir. Il existe aux États-Unis, pendant et après la deuxième guerre mondiale, menée contre le racisme en Europe, une contradiction entre être noir et écrivain. Ou plus subtilement il semble qu’il y aurait, avec Richard Wright et Ralph Ellison, suffisamment d’écrivains noirs.
Le manuscrit de Himes est refusé par plusieurs éditeurs. Celui qui l’accepte finalement (Coward Mc Cann) lui impose des changements importants auxquels Himes consent pour des raisons financières. Quand, plus de 40 ans après, en 1998, le livre reparaît, tel que Himes l’avait écrit, sous le titre Hier te fera pleurer (Yesterday Will Make You Cry)* l’« editor » du livre écrit : « Ce roman, totalement négligé, a été épuisé aux États-Unis après sa parution en 1953. Ce que l’on pourrait considérer comme une mésaventure peut aussi être une chance – car rester sur des étagères de bibliothèque était ce qui pouvait arriver de mieux à Qu’on lui jette la première pierre. » Et il donne des détails sur les restaurations qui ont dû être apportées au livre : « C’est un livre totalement différent dont une grande partie avait été supprimée par les éditeurs de Himes chez Coward Mc Cann. Ils ont bouleversé la structure du livre et ont changé l’ordre des chapitres, réécrivant même certains passages. » Ces coupes avaient, en particulier, censuré l’humanité et la sensibilité du héros. Elles réduisaient Qu’on lui jette la première pierre à un roman de prison violent. Ce n’était pas le projet de Himes.
* Chez Old School Books
Voir Chester Himes et l'incendie du pénitencier d'État de l'Ohio