1 avril 2015

Cidade escaldante : ce que nous apprend une édition portugaise de Himes - 1. Les titres

Trouvé à la Feira da ladra (marché aux puces) du quartier populaire d’Alfama à Lisbonne, un exemplaire de Cidade escaldante (Ne nous énervons pas) de Chester Himes, traduit en 2000 par Clarisse Tavares.
La traduction du titre est déjà intéressante : Cidade escaldante signifie La ville bouillante ou brûlante ou torride. Comme dans la traduction espagnole du même roman, Empieza el calor, ce titre est en rapport avec le titre de la première édition américaine, The Heat’s On. Certes, la polysémie de Heat, qui renvoie à la fois aux armes à feu, à la police et à la vague de chaleur qui accable New York et entraîne la démesure des comportements humains, n’est pas rendue mais cette concentration de sens divers est intraduisible.
De fait, quand il fut remis à l’éditeur, le manuscrit de Chester Himes, écrit en anglais et destiné à être traduit en français, avait pour titre Be Calm, ce qui est bien rendu par le titre français Ne nous énervons pas. Ce titre est dans la lignée des Il pleut des coups durs ou Tout pour plaire, Les éditions américaines ultérieures de ce roman ont eu pour titre The Heat’s On (1966) et Come Back Charleston Blue (1972).

Titre original
Titre dans la SN
Titre de l’édition américaine ultérieure
The Five Cornered Square
La reine des pommes
A Rage in Harlem
If Trouble Was Money
Il pleut des coups durs
The Real Cool Killers
A Jealous Man Can’t Win
Couché dans le pain
The Crazy Kill
The Big Gold Dream
Tout pour plaire
The Big Gold Dream
Don’t Play With Death
Imbroglio négro
All Shot up
Be Calm
Ne nous énervons pas
The Heat’s On
Back to Africa
Retour en Afrique
Cotton Comes to Harlem

Si l’on regarde l’ensemble du catalogue de la Série noire, Ne nous énervons pas, n° 640, se situe entre On se tape la tête (The Savage Salome), n° 638, et Y'a du tirage (The Dream Is Deadly), n° 642, tous deux de Carter Brown. Je ne pense pas que Himes se soit exprimé sur ce sujet mais il est probable que ses titres originaux (en anglais) correspondent à ce qu’il savait des titres de la Série noire et aux attendus sans doute explicites de son éditeur. La reine des pommes est une bonne approximation de The Five Cornered Square, le premier titre du roman, avec déjà une perte, inévitable, par rapport à la polysémie du terme square : à la fois carré – en l’occurrence à cinq côtés – et naïf, voire idiot. En revanche, Il pleut des coups durs, Tout pour plaire, Imbroglio négro et Ne nous énervons pas sont des titres interchangeables pour des romans qui, eux, ne le sont pas. Couché dans le pain ne se réfère qu’à une très courte scène au début du roman. Retour en Afrique correspond bien au titre original et au sens principal du livre.
A la différence des titres de la Série noire et même, dans une grande mesure, de ceux des manuscrits de Himes, les titres de la première édition américaine mettent en valeur la singularité de l’œuvre de Himes, par rapport à celle de Carter Brown ou des autres auteurs, et celle de chacun de ses romans dans l'ensemble de l'oeuvre.





1 commentaire:

  1. Il semble en effet que les titre des éditions ultérieures américaines ont été influencés par le contexte politique des années 60 aux USA. Si vous prenez "A rage in Harlem" en 1964, on s'éloigne de l'anecdote du "square" comique et on tombe dans la tension raciale. "The Real Cool Killers" (1959) fait aussi référence à la connotation des jeunes “cool” (et les tueurs dans le roman sont jeunes) et noir moderne, pensez à Miles Davis et son album paru en 1957 "Birth of The cool" ou vous pouvez penser à “We real cool’ de la poète Gwendolyn Brooks, poème écrit en 1959 et publié en 1960. On peut en dire autant pour "The Heat is on" (1966) qui coincide avec l'année de la création officielle du mouvement des Black Panthers et le jargon (appelé aussi Ebonics) noir va se répandre dans les médias d’où le mot "Heat". "Cotton comes to Harlem" (1960) recentre le débat politique sur ce qui va être la lutte des droits civiques et s’éloigne d’un retour en Afrique prôné par Marcus Garvey et ses disciples des années plus tôt.

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