1 mai 2015

ENG - Cidade Escaldante: What can be learned from a Portuguese edition of Himes’ The Heat’s On? 1 – The titles.


Found in the Lisbon flea market (Feira da Ladra in the popular borough of Alfama) Cidade escaldante (The Heat’s on) by Chester Himes, translated into Portuguese in 2000 by Clarisse Tavares.
The translation of the title is quite interesting. Cidade escaldante means The Hot/Burning/Boiling City. As in the Spanish translation of the same novel (Empieza el calor – The Heat Begins), it is related to the title of the 1st American edition of the book, The Heat’s On, and thus quite different from the original French title in the Série Noire, Ne nous énervons pas. Of course, the polysemy of Heat, which refers at the same time to firearms, to the police and to one of the heat waves that affect New York in the summer and have exaggerated consequences on human behaviour is not precisely rendered but this concentration of diverse meanings cannot be translated accurately in French.
When Himes’ publisher was given the manuscript, it was written (as always) in English and its title was Be Calm, the French translation of which, Ne nous énervons pas, is a good approximation. This French title is not very different from other titles by Himes, such as Il pleut des coups durs or Tout pour plaire. The book was later published in the United States, successively as The Heat’s On (1966) and Come Back Charleston Blue (1972).

Original title of the manuscript in English
Série Noire title
Title in the later American edition
The Five Cornered Square
La reine des pommes
A Rage in Harlem
If Trouble Was Money
Il pleut des coups durs
The Real Cool Killers
A Jealous Man Can’t Win
Couché dans le pain
The Crazy Kill
The Big Gold Dream
Tout pour plaire
The Big Gold Dream
Don’t Play With Death
Imbroglio négro
All Shot up
Be Calm
Ne nous énervons pas
The Heat’s On
Back to Africa
Retour en Afrique
Cotton Comes to Harlem

In the Série Noire catalogue, Ne nous énervons pas (Be Calm), n° 640, is situated between two Carter Brown novels, On se tape la tête[1], n° 638, and Y'a du tirage[2] (n° 642), and it partakes the Parisian slang inspiration of both titles. As far as I know, Himes never gave any clue about the choice and the translation of his titles, still his original English titles corresponded to what he knew or understood of the Série noire titles policy and of the explicit expectations of his publisher.
La reine des pommes is quite a good approximation of The Five Cornered Square, although it doesn’t convey the polysemic pun on square: the geometric figure – in this occurrence a very extraordinary figure – and a naïve, even a stupid individual. The Série Noire titles of four of the Harlem domestic novels Il pleut des coups durs, Tout pour plaire, Imbroglio négro et Ne nous énervons pas[3] are quite interchangeable whereas the novels are so different! Couché dans le pain only refers to a short part in one of the 1st chapters of the novel. Retour en Afrique, which is a much better title, corresponds to the original title in English and highlights the general meaning of the novel.
Unlike the Série Noire titles and even those of Himes’ English manuscripts, the titles of the 1st American edition of the books enhance the singularity of Himes in relation to Carter Brown or other authors, and the originality of each novel amongst the novels that make up the Harlem cycle.




[1] Original American title: The Savage Salome.
[2] Original American title:  The Dream is Deadly.
[3] The Real Cool Killers, The Big Gold Dream, All Shot Up and The Heat’s On.


12 avril 2015

Retour en Afrique de Chester Himes : l’apogée du MacGuffin


Le MacGuffin n’a pas été inventé ni nommé par Hitchcock mais ce dernier l’a  théorisé de façon humoristique : « Un MacGuffin –  on en trouve dans la plupart des films d’espionnage –,  c’est ce que les espions recherchent, ce qui est important pour les personnages à l’écran, mais dont le public se fiche »[1]. On le trouve chez nombre d’autres romanciers et cinéastes, par exemple, dans l’excellent Kiss Me Deadly (En quatrième vitesse), de Robert Aldrich, adapté très librement (heureusement !) du roman de Mickey Spillane. Un MacGuffin est un élément, souvent matériel, qui est censé constituer un enjeu de l’histoire et, le plus souvent, un prétexte à son développement. On pense inévitablement au faucon maltais dans le roman du même nom.
Himes ne pouvait pas ne pas y avoir recours : c’est, par exemple, le faux titre de propriété de la mine dans La reine des pommes, le secret de Val dans Couché dans le pain, l’argent d’Alberta dans Tout pour plaire… C’est cependant dans Retour en Afrique qu’il y a recours de la façon la plus accomplie. Dans ce roman, un MacGuffin en contient un autre : dans la balle de coton est caché l’argent que les Harlémites ont donné, en toute crédulité, au faux révérend O’Malley pour organiser leur libération et leur retour en Afrique, dans la terre de leurs ancêtres.
La balle de coton est volée par les sbires du colonel Calhoun, chef du Mouvement de retour dans le Sud. Elle passe ensuite aux mains d’un vieux chiffonnier noir, oncle Bud, le seul à réaliser le rêve du retour en Afrique où il s'achètera « cent femmes de qualité moyenne » avec l'argent qui y est caché. Le coton est acheté par la danseuse Billy pour sa danse du coton, au Cotton Club. Les deux inspecteurs s’en emparent enfin, après une poursuite ponctuée par un nombre impressionnant de cadavres. Ils indemniseront discrètement les habitants de Harlem, spoliés par les arnaqueurs noirs et les racistes blancs.
C’est en partie pour l’usage magnifique fait du MacGuffin que Retour en Afrique constitue l’aboutissement de la forme policière chez Himes, tout en constituant une étape significative dans la création d’un genre nouveau, plus politique et fantastique.
Himes ne s’y est pas trompé : « C’est un bon roman, probablement le meilleur de mes romans policiers ». « Mon dernier livre sur les Flics et le Coton est tout entier consacré au problème racial et aux conditions de vie à Harlem et je fais exprimer à mes inspecteurs ce qu’ils – ainsi que les autres Noirs – ressentent à Harlem »[2]. On y trouve, d'une part, « la maîtrise d’une forme policière qui rejoint la tradition classique du roman noir, de l’autre, une intrigue dont les enjeux historiques et politiques sont nettement mentionnés. Enfin, une écriture plus brillante que jamais, mais désormais plus assujettie aux nécessités de la narration. La complexité de l’organisation est notamment manifeste dans l’horlogerie minutieuse du coton. Une balle de coton est perdue par un camion ; cette balle de coton est trouvée par un vieux Noir, du nom de Cotton Bud ; simultanément, une annonce est affichée dans le local du colonel Calhoun « recherche balle de coton » ; Cotton Bud vend la balle de coton à un chiffonnier ; un employé de ce dernier, Josh, propose au colonel Calhoun de lui vendre la balle de coton ; le chien de garde de l’entrepôt du chiffonnier est empoisonné puis Josh est assassiné : le coton a disparu… »[3]




[1]  Le nom "MacGuffin" a été inventé par le scénariste Angus MacPhail avec qui  Hitchcock a travaillé, d'après Donald Spoto dans The Art of Alfred Hitchcock: Fifty Years of His Motion Pictures
Voir Hitchcock et le MacGuffin
[2] Ces deux références se trouvent dans le second volume de l’autobiographie de Himes, My Life of Absurdity, New York, Doubleday, 1976, p. 277 et p. 279. 
[3] Sylvie Escande, Chester Himes, l’unique, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 142.


1 avril 2015

Cidade escaldante : ce que nous apprend une édition portugaise de Himes - 1. Les titres

Trouvé à la Feira da ladra (marché aux puces) du quartier populaire d’Alfama à Lisbonne, un exemplaire de Cidade escaldante (Ne nous énervons pas) de Chester Himes, traduit en 2000 par Clarisse Tavares.
La traduction du titre est déjà intéressante : Cidade escaldante signifie La ville bouillante ou brûlante ou torride. Comme dans la traduction espagnole du même roman, Empieza el calor, ce titre est en rapport avec le titre de la première édition américaine, The Heat’s On. Certes, la polysémie de Heat, qui renvoie à la fois aux armes à feu, à la police et à la vague de chaleur qui accable New York et entraîne la démesure des comportements humains, n’est pas rendue mais cette concentration de sens divers est intraduisible.
De fait, quand il fut remis à l’éditeur, le manuscrit de Chester Himes, écrit en anglais et destiné à être traduit en français, avait pour titre Be Calm, ce qui est bien rendu par le titre français Ne nous énervons pas. Ce titre est dans la lignée des Il pleut des coups durs ou Tout pour plaire, Les éditions américaines ultérieures de ce roman ont eu pour titre The Heat’s On (1966) et Come Back Charleston Blue (1972).

Titre original
Titre dans la SN
Titre de l’édition américaine ultérieure
The Five Cornered Square
La reine des pommes
A Rage in Harlem
If Trouble Was Money
Il pleut des coups durs
The Real Cool Killers
A Jealous Man Can’t Win
Couché dans le pain
The Crazy Kill
The Big Gold Dream
Tout pour plaire
The Big Gold Dream
Don’t Play With Death
Imbroglio négro
All Shot up
Be Calm
Ne nous énervons pas
The Heat’s On
Back to Africa
Retour en Afrique
Cotton Comes to Harlem

Si l’on regarde l’ensemble du catalogue de la Série noire, Ne nous énervons pas, n° 640, se situe entre On se tape la tête (The Savage Salome), n° 638, et Y'a du tirage (The Dream Is Deadly), n° 642, tous deux de Carter Brown. Je ne pense pas que Himes se soit exprimé sur ce sujet mais il est probable que ses titres originaux (en anglais) correspondent à ce qu’il savait des titres de la Série noire et aux attendus sans doute explicites de son éditeur. La reine des pommes est une bonne approximation de The Five Cornered Square, le premier titre du roman, avec déjà une perte, inévitable, par rapport à la polysémie du terme square : à la fois carré – en l’occurrence à cinq côtés – et naïf, voire idiot. En revanche, Il pleut des coups durs, Tout pour plaire, Imbroglio négro et Ne nous énervons pas sont des titres interchangeables pour des romans qui, eux, ne le sont pas. Couché dans le pain ne se réfère qu’à une très courte scène au début du roman. Retour en Afrique correspond bien au titre original et au sens principal du livre.
A la différence des titres de la Série noire et même, dans une grande mesure, de ceux des manuscrits de Himes, les titres de la première édition américaine mettent en valeur la singularité de l’œuvre de Himes, par rapport à celle de Carter Brown ou des autres auteurs, et celle de chacun de ses romans dans l'ensemble de l'oeuvre.