3 mars 2014

Cadence de virtuosité

On appelle cadence de virtuosité, dans un concerto, une séquence virtuose du soliste, qui peut être improvisée ou écrite. Quand elle est improvisée, c'est un moment de liberté laissé à l'interprète par le compositeur. Le terme semble parfaitement adapté pour désigner dans les romans policiers de Himes certains développements brillants, des morceaux de bravoure, pourrait-on dire. 

Pour filer la métaphore de la liberté de l'improvisation qui peut favoriser les excès stylistiques de l'interprète, on réservera ce terme à des séquences dont la motivation narrative est secondaire par rapport, par exemple, à la force visuelle. On citera dans Couché dans le pain l'office funéraire de Big Joe Pullen ou dans Imbroglio négro la poursuite de la motocyclette au conducteur décapité. La première occurrence apparaît dans La reine des pommes : c'est la fuite éperdue du corbillard au milieu du marché de Park avenue et l'apparition du cadavre de Goldy : "Les portes arrière s'ouvrirent tout grand et le cadavre à la gorge tranchée sortit d'un tiers. La tête ensanglantée qui sortait de la gorge tranchée fixait la scène du désastre de ses yeux immobiles bordés de blanc." 

Peu avant, dans le même roman, l'assassinat de Goldy, avec la parfaite synchronisation sonore des bruits du métro aérien, bien que tout aussi virtuose, est d'une nature un peu différente. La précision des raccords, la maîtrise brillante du crescendo des émotions des personnages sont des inventions structurantes pour la narration. Elles permettront à Himes de raconter des histoires focalisées sur des personnages différents.

La cadence de virtuosité est l’illustration la plus condensée de la liberté formelle dont Himes fait l’expérience avec bonheur dans l’écriture de ses romans policiers. L’exil mais aussi l’aisance financière nouvelle que lui garantit la Série noire et enfin le caractère inédit de cette situation d’écriture inimaginable lui permettent d’explorer des voies nouvelles en toute liberté.


1 commentaire:

  1. Ah, oui, j'aime beaucoup cette séquence de la Reine des pommes où la tête surgit du corbillard!
    Et avez-vous vu Sylvie qu'il y a une recension de votre essai dans le Monde Diplo d'avril ?
    Avec ce lien: http://www.monde-diplomatique.fr/2014/04/DUFOUR/50342 on a accès au début de l'article.
    Super, non?
    amitiés
    Bernard

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